C’est un homme de taille moyenne. Habillé d’un pantalon
droit, d’une chemise et d’un gilet à fermeture éclair, il a le dos un peu voûté
et le cou légèrement rentré dans les épaules. Ses petites lunettes rondes ne
cachent pas les extrémités tombantes de ses yeux tristes. Les commissures de
ses lèvres tirent vers le bas. Il prend difficilement la parole, soupire, bute
sur les mots, regarde ses doigts, change le propos de sa phrase en plein milieu,
reprend du début au bout d’une longue pause, l’air las. Il entame les longs mots
avec conviction mais baisse ensuite le volume jusqu’à rendre inaudibles leurs
dernières syllabes.
Le vocabulaire utilisé et les idées énoncées dénotent
cependant toujours d’une grande culture et d’une grande intelligence.
L’un des intervenants lui demande ce qu’il voudrait faire s’il
n’y avait plus aucune barrière, plus aucune urgence, plus aucun souci financier.
Il murmure :
« - Moi, je voudrais avoir du charisme.
Il insiste sur « charisme ». Il reprend plus fort.
- Je voudrais avoir de l’assurance. J’ai l’impression que
les gens charismatiques sont heureux. Et je voudrais être heureux.
Il enchaîne, fragile.
- Ma vie, elle est bien morne. Comme moi. »
Ébranlée par cette réponse inattendue, l’assistance détourne
le regard en silence. C’est compliqué de répondre quelque chose à ça. Ce n’était
pas le lieu. Ce n’était pas le moment. Et puis la consigne n’était pas
respectée.
J’ai rendu un sourire désolé à son sourire usé.
La session s’est terminée.
J’aurais aimé lui dire qu’on lutte tous contre nos
faiblesses, que le charisme n’est pas plus synonyme de bonheur que la minceur
ou la richesse, j’aurais aimé le prendre dans mes bras et lui promettre que
tout irait bien…
Mais il était déjà parti.