L’hôtel est au beau milieu d’une forêt dont les voies d’accès pédestres sont coupés par la neige. Dans notre immense chambre et dans le luxueux hôtel, nous cédons à un genre de claustrophobie sylvestre et décidons d’emprunter par deux fois la navette afin d’aller voir les cascades gelées de nuit puis de jour.

C’est joli.

C’est joli, mais sur place, on développe un rejet assez vif de la vie en troupeau. Sûr qu’ils ont un côté pratique, ces néobergers avec leurs bâtons lumineux. Ils nous mènent directement au point d’intérêt, on peut bouger dans un rayon de 5m et faire la queue sagement pour photographier tous la même cascade pendant 3 min. Mais ce qui compte n’est pas seulement la destination, voyez ? Surtout accompagné d’un type avec un bâton.
Alors on décide d’aller vivre nos vies d’êtres libres au vrai grand air, à 40 km de là, au lac Towada. Le concierge m’a regardé d’un drôle d’air quand je lui ai demandé de nous appeler un taxi. Le taxi lui-même a eu l’air un peu circonspect quand je lui ai dit où on voulait aller. Il a même hésité à nous laisser descendre là où on le souhaitait.
Mais cette fois, le pocket wifi était chargé, on avait nos batteries portables et même des gâteaux dans mon sac à dos. Il ne pouvait rien nous arriver.
(C’était sans anticiper qu’à la fin de l’hiver, le soleil chauffe suffisamment les toits pour faire lourdement glisser les tonnes de neige sur les gentils touristes un peu paumés.)
Il se mérite, ce sanctuaire shinto, en hiver.

Il a fallu glisser sur des plaques de verglas, tourner un peu en rond, arriver au torii, se rendre compte qu’on n’avait pas déjeuné, chercher un restaurant, n’en trouver qu’un, « manger » le pire katsu kare rice possible, acheter des pommes déshydratées en guise de dessert, revenir au torii, éviter les rallonges électriques qui parcouraient l’entrée, contourner quelques plots rouges dont on ne devinait plus que le haut dans le mètre de neige, patiner sur un peu de glace, manquer de se faire assommer par de la neige qui tombait des branches de pins centenaires et le voilà.

Tout en bois, paisible dans son écrin blanc, doucement caressé par le soleil. Une fois de plus, nous sommes seuls au monde avec les sempiternels corbeaux qui crient « Froid ! Froid ! ». C’est prémonitoire : bientôt, ma chaussure droite va commencer à se découdre. Je m’en apercevrai en sentant une incursion glacée sur ma chaussette de laine en tentant de prendre un peu de recul pour photographier le haiden. Ma jambe disparaît, avalée par la neige. Le Grü me fait les gros yeux et ne me lâchera pas la main jusqu’à ce qu’il estime que nous sommes de nouveau en lieu sûr.
C’est pourtant une fois revenus au lac, les deux pieds bien campés sur la terre ferme et sèche, que le vrai pire a failli se produire : alors que nous allions passer dans l’étroit passage qui séparait deux bâtiments, un craquement, puis un raclement attirent notre attention vers les cieux. La neige, lourde, accompagnée de ses stalactites, cascade depuis le fond du passage en venant vers nous. Nous reculons rapidement et nous mettons à l’abri de l’auvent qui fait face au lac. Le calme revenu, nous contemplons ce nouveau mur de neige de trois mètres qui vient de se dresser juste devant nous.
La prochaine fois, je vous raconterai comment ce tas de neige a bouché le port de Marseille.