Samedi 14 mars 2020

Réveil en larmes.

Je voulais pas arrêter de vivre.

Je voulais partir au Japon avec mon mari, être dépaysée, dans le sens premier du terme, déracinée, libre, sans maladie, sans angoisse du lendemain, sans routine ni culpabilité, je voulais vivre pour moi, pour nous, nous fabriquer de beaux souvenirs qui nous feront du bien quand la peine nous rattrapera, unis, soudés, ensemble, rien que nous, perdus parmi les 126 millions de Japonais.

J’ai beaucoup cherché ma place, ces dernières années.

Quand mon père, encore à la maison, s’est cassé la main dans une de ses malheureuses chutes et que l’anesthésie a complètement détraqué l’équilibre déjà chancelant de son cerveau, j’ai arrêté tout ce que je faisais, séance tenante, pour me rendre là-bas et apporter mon aide. J’avais la possibilité de le faire, alors je l’ai fait. Ces semaines m’ont beaucoup appris sur le lien qui nous rattache aux autres, sur les êtres que j’aime le plus au monde, sur moi aussi, d’une certaine façon, et pourtant j’ai eu le sentiment de me perdre encore plus.

Cela me semblait juste d’être là, le sommeil léger dans la nuit, à l’affut du moindre grincement qui indiquerait qu’il s’était de nouveau levé. Il fallait partager le fardeau de la maladie pour le rendre moins lourd.

Mais une nuit, j’ai fait l’un de mes plus atroces cauchemars. Mon mari, resté à Paris, apparaissait dans l’entrée de la maison familiale. « Je suis mort il y a une heure maintenant, c'est trop tard, tu ne peux rien faire pour moi. En revanche, ton père est tombé dans sa chambre, son corps bloque la porte d’entrée, il se vide de son sang, mais si tu y vas maintenant, si tu pousses de toutes tes forces, tu peux encore le sauver. »

Est-ce que j’avais fait le choix de laisser mourir mon couple ?