Le masque
Par Eulalie le samedi 29 février 2020, 21:48 - Journal du Japon - Lien permanent
Il entre dans la petite gare de Hiraizumi avec une dégaine de filou des années 80. Il marche comme Takeshi Kitano dans « L’Été de Kikujiro ». Il a la mine plutôt renfrognée sous son bonnet kaki. Il s’assied sur un banc face aux prospectus de la compagnie ferroviaire.
Il entre dans la gare d’un pas calme. Il porte un costume sous un manteau coupé dans une belle et épaisse laine. Sa serviette en cuir et son feutre finissent de parfaire son allure respectable. La personne au guichet de la gare le salue, il répond d’un ton enjoué avec un sourire chaleureux. Ils échangent quelques mots, puis il avise le premier homme qui gigote sur son siège et l’interpelle en avançant d’un pas rapide vers lui. Ils se claquent les épaules en riant sincèrement.
Le train arrive en gare, les deux amis se séparent.
L’homme chapeauté enfile son masque, sort une pile de documents reliés d’une pince et s’absorbe dans une lecture sérieuse. Nous sommes assis presque en face l’un de l’autre.
Alors que je détaille le paysage, nos yeux soudain se rencontrent. Il pointe du doigt son masque. Je hausse les épaules en faisant une légère moue. Ils sont en rupture de stock partout où nous allons depuis notre arrivée. Il réouvre sa serviette, sort une pochette en plastique. J’agite rapidement les mains en disant non, non, je sais comme il est compliqué de les trouver. À la télévision, on voyait les files d’attente des personnes qui essayaient de s’en procurer. Il me tend autoritairement deux masques. J’ai à peine le temps de le remercier qu’il retire déjà le bouchon de son surligneur. Il ne lèvera plus les yeux.
Au Japon, on les porte avant tout pour protéger les autres de ses propres microbes. En cette période un peu compliquée, dans les lieux clos, c’est un geste de courtoisie qui permet d’éviter la paranoïa.