Le mariage de mes meilleurs amis

Après des semaines de privations et de repas quasi-carcéraux à base d'infâmes tranches de dindes plates, de dépressifs yaourts à 0% (j’ai eu beau leur donner des Lexomil, jamais ils n’ont retrouvé le sourire) et de cafés coupe-faims, la fermeture éclair de ma merveille de robe en soie rose a glissé tout en douceur. Cette journée ne pouvait pas mieux commencer. A la réflexion, en fait, si, elle aurait pu. J’aurais pu ne pas oublier mes dessous invisibles chez mes parents (ou ne pas les perdre dans la rue en revenant de la laverie, je doute encore), j’aurais pu ne pas avoir à courir dans un magasin pour en racheter des neufs. Mais je suis restée zen. Car en plus d’avoir de nouveaux dessous, je les ai pris une taille plus petite que la dernière fois. Et ça aussi, c’est jubilatoire. Il aurait pu ne pas y avoir la Gay Pride le matin du départ, alors que nous pensions déjà être en retard, et mon quartier aurait pu ne pas être entièrement bloqué. Mais sur le cintre, à l’arrière, ma sublime robe voletait calmement, sublime, mon chignon était parfait, et mes dessous tout neufs très confortables.

Pourtant, Timohël a froidement douché ma sérénité.
« Tu veux répéter ton texte avec moi ? »

Mon texte ?! Aurais-je oublié quelque chose dans la précipitation ?! Je ne fais pas les voix au spectacle de marionnettes, pourtant, je gère juste le déroulé. Mon texte ?! Je ne suis pas témoin, je n’avais pas de discours à écrire ?! Oooh mon dieu ! Le texte à lire à l’église devant les familles, les amis et les proches !

Voilà. Je voulais faire quelque chose à leur mariage, plus que d’organiser un petit spectacle pour le dîner. Je voulais leur montrer que je les aimais énormément, que je voulais les accompagner. Alors quand elle m’a demandé si cela me dérangeait de lire un texte à l’église, j’ai tout de suite répondu que je le ferais avec joie. Parce que j’étais fière qu’elle ai pensé à moi. Mais j’aurais dû réfléchir à un petit détail avant. Face à un public, j’ai l’assurance d’un bernard-l’hermite agoraphobe.

Timohël, confiant - Tu n’as qu’à imaginer que l’assistance est toute nue.
Lilli, effrayée - Dans la Maison de Dieu ?! Impie ! Tu veux que je m’attire les foudres divines sur le chignon ?!
Timohël, souriant - Ah oui, ça pourrait clore ta lecture par un beau feu d’artifice, avec jet d’épingles à cheveux !
Lilli, sèche - N’importe quoi. De toute façon je ne suis pas là pour faire le son & lumière. Je gère juste un bout de son. Pour la lumière, les paillettes et les scintillements, faudra regarder les mariés.
Timohël, rieur - Dis donc, ça te rend un peu cucul, toi, les mariages. Tu vas pas pleurer, j’espère !
Lilli, boudeuse - Je pleure si je veux. Je suis armée. Un kleenex dans mon sac à main, du water-plouf autour des yeux.

Evidemment, j’ai été royale. Sans imaginer personne tout nu. Juste en laissant parler mon cœur. (Haha)



Le lieu de la réception était sublime, sans doute pour magnifier la beauté de leurs Super Héros d’invités. Nous savourions à petite gorgée le champagne, nous goûtions les petits zakouski, et sans le savoir, la menace rodait. L’appareil photo – caméra numérique avait pris possession du corps de Timohël. Vidéotor avait ressurgi du passé, pour affronter Numérinator le jour de son mariage.

Nous avons été traqués par l’œil de Vidéotor. Nous n’avons pas osé former une alliance de Super Héros pour avoir la paix, les forces en jeu auraient été trop destructrices. Il y a fort à parier que rien ne lui a échappé, des baisers des jeunes mariés, Numérinator et Wild Wife, au décolleté pigeonnant de Rebek’Or, en passant par les envolées oratoires de Drôlator (l’homme le plus drôle du monde), les fou-rires de Super Oin-oin, et toutes ces choses probablement très honteuses dont on n’a pas encore le souvenir parce que le DVD n’est pas encore fait. Et cette perspective n’est pas vraiment des plus réjouissantes. Super Blonde a la coupe de champagne facile. Et elle a comme un blanc entre la scène près du bar, où elle avait une coupe dans chaque main, et le moment où Drôlator est tombé en faisant du surf sur l’une des tables.

Numérinator, lui, piégé par Super Breton, a bu trois grosses gorgées d’alcool de prune maison alors qu’il pensait boire du Perrier. Et Vidéotor n’en aura pas raté une goutte.

Finalement, comme on était fatigués, on s’est tous couchés très tôt, vers les huit heures. Quatre heures à balancer des oreillers sur Timohël pour qu’il arrête de ronfler, à hausser la voix sur un copain de dortoir dont le téléphone sonnait toutes les dix minutes sans que cela le réveille, et Numérinator a fait son apparition, son appareil photo à la main, pour posséder à jamais le pâteux minois d’un Vidéotor au réveil.

Alors je tiens à dire que oui, sur la photo de mon réveil, je tiens une flûte, oui, le liquide qui est dedans semble pétiller, mais c’est parce que c’est une aspirine effervescente. Je souhaitais en effet reprendre mes esprits et un peu de lucidité pour faire un triste constat : une vingtaine de bleus sur le corps (tiens, je me souviens d’une mêlée de rugby sur la piste de danse avec Numérinator qui saute sur le tas…), un talon cassé (je suis la chef du talon cassé) et peut-être une centaine d’échardes dans les pieds (tiens, j’ai encore dû virer mes chaussures…)

Et depuis ce matin, je m’épile les échardes. Pourtant ce n’était pas un mariage en bois. Je vous vois déjà en train de râler « ouah, l’autre ! elle s’épile devant tout le monde ». Mais passer la journée à marcher sur des couteaux, c’est bien pour la petite sirène. Moi, ça m’amène aucun prince charmant à deux pattes, alors j’exhibe mes orteils si j’veux.