Le voyage jusqu’à Tsuwano est superbe ; de Matsue à Masuda, le train longe la mer du Japon, puis de Masuda à Tsuwano, rizières et montagnes. Les guiboles nous démangent et nous n’avons qu’une après-midi pour visiter les lieux d’intérêt : nous louons des vélos.
Premier arrêt, le sanctuaire Taikodani Inari, relativement récent (18ème siècle). De la route, on voit les toris rouges qui serpentent à flanc de montagne. 263 marches et 1000 toris plus tard, nous voilà en haut, dans un air plus frais mais toujours aussi moite. Les bâtiments sont superbes et les tambours résonnent.
Et puis la pluie. D’abord de fines goutteletts, puis une brumisation, suivie de grosses gouttes d’orage et enfin le déluge. Nous finissons par nous abriter sous l’auvent d’un petit garage, couvrant nos pieds de nos parapluies qui jusque là n’avaient servi qu’à protéger nos têtes de l’écrasant soleil. La pluie chaude fait remonter la moiteur de la terre. Ça sent la mousse. Le sanctuaire n’est plus qu’à quelques coups de pédale, nous décidons de retourner sous la douche.
Et le voilà, le coup de cœur. Dans une brume de chaleur, d’un rouge terreux et mat, coiffé d’un toit de chaume, il se dresse au milieu de son écrin vert avec sa plaque d’entrée écrite en calligraphie oiseau. L’orage disperse les touristes ; nous voilà seuls. Les gouttes de pluie qui tombent remplacent les habituels taikos. Les pigments des bâtiments se diluent dans l’eau, rougissant la pluie qui cascade dans la mousse et les hautes herbes. Trempée pour trempée, j’explore l’arrière du sanctuaire et prends un peu de hauteur. Les petits moulins de bambou tournent de façon imperceptible.
Est-ce ce lieu qui ralentit le temps ? Même la pluie semble tomber plus lentement. Ah non, c’est la fin de l’ondée. Il faut à présent, dans nos fringues dégoulinantes, chevaucher nos vélos ruisselants pour aller s’égoutter sur le tatamis du prochain ryokan.
L’onsen sera-t-il encore rempli à ras bord de mamies ? Suspense.
La propriétaire du ryokan nous accueille chaleureusement malgré nos trombines de chiens mouillés. La vieille bâtisse noble a deux escaliers ; le premier est réservé à la montée, le second à la descente. Le thé vert fumé d’accueil est un délice.
Je n’ai jamais pu manger autant de choses dans un ryokan. La découverte gustative de ce voyage sera sûrement l’assiette de sashimis : pétoncle, maquereau, chinchard, limande, accompagnés de vrai wasabi et d’une feuille de shiso.
La nuit, le vent rejoint la pluie. Les moustiquaires claquent contre les vitres coulissantes en bois et s’invitent dans mes rêves sous forme d’esprits qui veulent se mettre à l’abri à l’intérieur. Sont-ce eux qui ont dissipé les nuages ?
Je crois qu’il y a un peu trop d’histoires dans ma tête.